Comme à l’accoutumée, les master classes de Stefaan Soenen proposent un programme solide. Après un exposé passionnant sur l’état de la viticulture belge, ce ne sont pas moins de 32 vins qui ont passé la revue le 23 novembre 2024 au domaine Petrushoeve à Hageland. Le thème de la journée était le vin rouge belge. Le matin, nous nous sommes entièrement concentrés sur les vins issus du pinot noir (16). L’après-midi, nous avons eu le choix entre un nombre égal de vins non issus de pinot. Tous les vins ont été soigneusement choisis dans les différentes régions viticoles de notre pays, les questions relatives au terroir et au potentiel de conservation étant au centre des préoccupations. Un pays au climat comme la Belgique peut-il produire un vin rouge de qualité, peut-il soutenir la comparaison avec les vins rouges de nos pays voisins et a-t-il un potentiel de conservation ?
Malgré l’influence indéniable du réchauffement climatique sur la viticulture belge, la Belgique reste un pays viticole à climat frais (‘cool climate’). Il n’est donc pas surprenant que la Belgique reste avant tout un pays de vins blancs, mais …
Du vin rouge en Belgique ?

Au total, la Belgique a produit 3.434.604 litres de vin en 2023 (dernière année pour laquelle les chiffres du SPF Finances sont disponibles). Seuls 7,2 % de cette production étaient des vins rouges et 3,8 % des vins rosés. L’année 2023 a été un millésime volatile. Il a commencé de manière prometteuse avec un printemps sec, mais un été difficile et humide et un automne très chaud. Cela a entraîné de grands rendements, mais a conduit à des vins de qualité variable dans plusieurs domaines, l’équilibre acide étant notamment un facteur décisif. Sur le plan climatique, 2022 a été une année brillante pour la viticulture belge, avec beaucoup de soleil et de chaleur en été et un automne frais, qui a apporté suffisamment d’acidité et de tension dans le vin. Par conséquent, en 2022, la part du vin rouge dans la production belge totale était beaucoup plus élevée : 12 %. Le rendement du rosé était légèrement plus élevé qu’en 23 : 4%.

Nous constatons une nette différence de production entre la Wallonie et la Flandre en ce qui concerne le vin rouge : alors qu’en 2023, 9,8% de la production totale de vin était rouge en Flandre, elle n’était que de 4,9% en Wallonie. Pour l’année 2022, plus facile à bien des égards, cette différence était beaucoup moins importante : 13,7 % en Flandre contre 10 % en Wallonie. La production de vins rosés est de toute façon plus limitée en Belgique, mais là aussi, on observe des proportions similaires : 5% de rosé en Flandre en 2023 (2022 : 5,5%) contre 2,8% en Wallonie en 2023 (2022 : 2,3%).

La raison pour laquelle la production de vin rouge en Belgique est nettement inférieure à la production de vin blanc est d’ordre climatique : dans un pays viticole plus frais comme la Belgique, il y a moins d’heures d’ensoleillement et il fait moins chaud. Ces contraintes ont donc un impact sur le développement et la maturation du raisin. Une maturation imparfaite peut entraîner
- un taux de sucre plus faible dans le raisin, ce qui se traduit par un taux d’alcool plus faible après la fermentation. Les régions viticoles plus chaudes telles que l’Italie, l’Espagne, le Portugal et le sud de la France sont confrontées au problème inverse (trop de soleil), ce qui peut donner des vins lourds et alcoolisés. Aujourd’hui, les consommateurs recherchent plus souvent des vins moins alcoolisés, de sorte qu’une teneur en alcool plus faible dans le vin (belge) n’est pas nécessairement un inconvénient.
- une teneur en acide plus élevée dans le raisin : les acides sont très importants pour le développement du raisin et, plus tard, pour la conservation du vin. Une acidité élevée n’est pas nécessairement un problème dans le vin. Le problème se pose surtout lorsque l’acidité du vin n’est pas équilibrée par une quantité suffisante de sucres. Le riesling, par exemple, est riche en acides, mais ces acides sont bien équilibrés par les sucres du raisin. Toutefois, les conditions climatiques et le nombre limité d’heures d’ensoleillement dans un pays comme la Belgique peuvent entraîner une perte d’équilibre et les acides – à la fin du processus de maturation – ne sont pas suffisamment réduits, ce qui donne au vin un goût piquant et aigre.
- Tanins immatures : l’un des principaux problèmes causés par une période de maturation plus courte du raisin est que les tanins du raisin ne peuvent pas mûrir suffisamment, ce qui peut donner au vin un goût acidulé et amer. Ce problème peut être plus prononcé dans le vin rouge que dans le vin blanc, ce qui est propre au processus de production du vin rouge, où davantage de tanins sont libérés dans le vin par la macération de la peau.
- Moins de développement aromatique : si le soleil brille moins et que les raisins ne peuvent pas mûrir aussi longtemps, cela peut également affecter le développement aromatique du vin. C’est certainement le cas pour les vins rouges, dont la structure et la complexité aromatique sont très importantes.
La quantité de chaleur et de soleil dont un raisin a besoin pour mûrir de manière optimale dépend du cépage. Le scientifique français Pierre Huglin a établi une échelle du nombre d’heures d’ensoleillement dont un cépage spécifique a besoin pour mûrir de manière optimale, en se basant sur la température quotidienne moyenne et la température quotidienne maximale, ainsi que sur la situation géographique. Un viticulteur peut utiliser cette échelle pour décider des cépages à planter dans ses parcelles. Bien que cet indice ne soit pas très fin et qu’il soit plus difficile d’intégrer l’impact des caractéristiques spécifiques du terroir d’une parcelle, il est néanmoins souvent utilisé. Par exemple, l’indice peut être utilisé pour expliquer pourquoi certaines années les rendements de certains cépages sont plus élevés que d’autres.

Sur la carte ci-jointe réalisée par Bruno Delvaux de l’UCLouvain, la distinction entre une année « chaude » et une « année normale » est clairement visible. La carte montre aussi clairement la différence entre la Flandre et la Wallonie. L’échelle de Huglin est nettement plus basse en Wallonie, en particulier lors des années les moins chaudes. Cela explique pourquoi certaines parties de la Wallonie sont moins ou pas adaptées à la viticulture et qu’il y a aussi – encore plus qu’en Flandre – des restrictions sur le type de cépages qui peuvent être plantés. La culture des raisins bleus, en particulier, est difficile dans de nombreuses régions de Wallonie, ce qui explique la faible production de vin rouge.
Pinot noir : profondeur complexe ou « méchant bougre » ?
Sur une plantation totale de 891 ha (chiffres du SPF Economie) en 2023, le pinot noir est de loin le cépage rouge le plus planté : +/- 110 ha, suivi de loin par le pinot meunier (32 ha). Le pinot noir est le cépage bleu le plus planté tant en Flandre (61 ha) qu’en Wallonie (41 ha).

Du point de vue de la chaleur et du nombre d’heures d’ensoleillement, le choix du pinot noir en Belgique est compréhensible. Selon les sources, le pinot noir peut être planté à partir de 1300 ou 1400 sur l’indice de Huglin et c’est une valeur que nous atteignons de plus en plus souvent et dans de plus en plus d’endroits en Belgique en raison du changement climatique.
Il y a aussi une aura mythique autour du pinot noir. Sa souplesse, sa complexité, sa profondeur et sa puissance contenue sont souvent louées et c’est aussi le cépage planté dans les régions viticoles qui frappent l’imagination : Champagne, Bourgogne, Ahr, … Cette aura a peut-être aussi contribué à l’enthousiasme des viticulteurs belges pour la plantation du pinot noir.
Pourtant, planter du pinot noir dans un jeune pays viticole comme la Belgique, où les viticulteurs ont encore peu d’expérience, est un défi de taille. Après tout, le pinot noir peut être « un méchant bougre » : il est particulièrement sensible aux conditions environnementales et aux maladies. Il s’agit d’un rejeton précoce, ce qui peut exposer les vignes aux gelées printanières et à la mauvaise floraison. Les grappes elles-mêmes sont souvent de petite taille et sont très sensibles à divers champignons tels que l’oïdium et le mildiou, ainsi qu’au botrytis, qui pose souvent des problèmes dans un pays humide comme la Belgique et oblige le viticulteur à effectuer des pulvérisations répétées de fongicides dans le vignoble. Le pinot noir a également une peau fine qui augmente considérablement le risque de coups de soleil en cas de chaleur extrême, d’une part, et de fissures de la peau dues aux précipitations pendant la maturation, d’autre part, par rapport aux raisins à peau plus épaisse.
Toutes ces facettes constituent des défis majeurs pour un jeune pays viticole comme la Belgique, où les viticulteurs ont relativement peu d’expérience par rapport, par exemple, à leurs homologues français. D’un autre côté, précisément en raison de leur expérience limitée, les viticulteurs belges laissent beaucoup moins de place au hasard et suivent peut-être plus attentivement les différentes facettes de la viticulture et de la vinification que leurs collègues plus expérimentés des pays viticoles traditionnels, qui se fient davantage à leur « expérience ». Cette grande (er) attention à la technicité de la vinification peut alors mettre le vigneron belge dans une meilleure position pour cultiver un « raisin difficile » comme le pinot noir.
Le volume 2 contient les notes de dégustation des vins belges à base de pinot noir
Le volume 3 contient les notes de dégustation des vins belges à base d’autres raisins bleus
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